Daniel, Frédéric et Victor COULON – Domaine de Beaurenard … Parlons ‘Biodynamie’ et ‘Transmission’ (2/2)

A l’issue de notre rencontre avec Robert, Marine et Paul Charavin du Domaine des Coteaux de Travers , nous avons décidé de creuser nos interrogations sur la viticulture biodynamique aux côtés de Daniel et Victor Coulon, du Domaine de Beaurenard. Focus sur notre rencontre avec Daniel Coulon, un des premiers à avoir initié ce mode d’agriculture en Vaucluse. Un échange clôturé avec son fils aîné, Victor Coulon.

AOC RASTEAU : La biodynamie est un système de production agricole assez complexe… Pouvez-vous nous la définir en quelques mots ?

Daniel Coulon : « Les fondements de la biodynamie sont identiques à celui de l’agriculture biologique ; Apporter des conditions favorables à la plante afin qu’elle puisse avoir toutes les armes pour lutter contre la maladie ».

Comme en bio, la biodynamie consiste à prévenir les maux et en cas de nécessité restreindre au maximum les doses de traitements curatifs, mais sa particularité réside dans la prise de conscience de l’influence des forces du cosmos sur les organismes vivants.

Il ajoute que cela relève avant tout d’une « vision holistique », prenant en compte la puissance de ce qui gravite au-dessus de nos têtes ; La lune et les planètes dont les positions et cycles respectifs influencent les comportements du végétal.  « La Lune est l’astre le plus proche de la Terre et ce n’est pas sans hasard si nous y sommes sensibles ».

Ce mode d’agriculture requiert avant tout une observation attentive, primordiale pour mieux comprendre, appréhender et agir en faveur de ses vignes.

Nous comprenons que nous avons à faire à une agriculture solaire qui, cadencée par le rythme super-puissant des saisons, du jour et de la nuit, permet d’aider les vignes à développer leurs organes (racines, fruits, feuilles, fleurs comme indiqué dans cet article). Rythmes et influences dont l’importance réorganise quotidiennement le travail « Dans nos vignes comme en cave, les grands axes de notre planning sont définis en fonction du calendrier lunaire.»

Entre choix de cœur et goût du risque, un profond respect pour la nature…

Notre discussion avec Daniel Coulon nous prouve sans hésitation que nous sommes face à un vigneron passionné, animé par un profond amour et respect pour la nature « J’ai recherché une façon d’assouvir cette passion. Entre notre volonté de nous tourner vers la biodynamie et sa mise en réalisation effective, le cheminement a été assez long… C’était une décision à assumer, mais j’avais un bon pressentiment. »

… de la curiosité et des rencontres.

Daniel s’est rendu en Alsace, mais également dans la Vallée de la Loire où ce mode de viticulture était déjà pratiqué. Ses rencontres avec d’autres vignerons, l’ont conforté dans le fait qu’il ne se trompait pas de voie, l’encourageant de continuer à s’engager dans cette démarche.

« Une philosophie de vigneron »

En 2007 la totalité des parcelles (60 ha au total dont 25 à Rasteau), ont été certifiées en biodynamie.
« Aujourd’hui après 10 ans je suis ravi d’avoir franchi le cap, je n’ai aucun regret. Nous sommes allés jusqu’au bout de la démarche, car cela était avant tout un choix de cœur. ».

AOC RASTEAU : Peut-on ressentir et mesurer les effets de la biodynamie sur le vin ?

Daniel Coulon : « Tout dépend de l’état initial des vignes, en ce qui nous concerne, par chance notre père Paul Coulon nous a laissé un très beau patrimoine naturel entre les mains, elles étaient déjà en très bonne santé. Cela dit nous avons aperçu les premiers changements visuels dès la première année de conduite en agriculture biodynamique. Encore plus au bout de 7 ans. La biodynamie a également apporté de l’équilibre dans nos rendements. »

« En ce qui concerne les qualités organoleptiques de nos vins, nous avons obtenu une pureté définissable dès la première année. Au bout de 7 ans c’était encore plus flagrant, et cela s’est encore plus révélé sur nos blancs. Le chiffre 7 à une symbolique très forte.»

AOC RASTEAU : Pratiquer la biodynamie et avoir les pieds sur terre sont-ils des antagonismes ?

Daniel Coulon : « J’ai initialement  un parcours scientifique et il a fallu accepter que la science ne pouvait pas tout expliquer. Nous avons eu des remises en questions importantes.  Donc avoir les pieds sur terre et « la tête dans les étoiles » ne sont pas incompatibles… !»

«Evidemment les caricatures existent, ce mode de conduite d’agriculture peut faire peur et la peur est parfois volontairement entretenue. Il est intéressant de rencontrer et échanger avec d’autres vignerons à ce sujet. La nature à des forces incroyables qu’il faut accepter ! »

AOC RASTEAU : Pensez-vous tout connaître de vos vignes ?

Daniel Coulon : « Avec les années, les vignes et le vin évoluent, réagissent à leur environnement… C’est un apprentissage permanent. »

Le Cru Rasteau, la biodynamie et vous…

Daniel Coulon : « Le Terroir de Rasteau est magnifique et se prête très bien à une viticulture en biodynamie, nous avons de bonnes barrières naturelles et un environnement extraordinaire, tout en coteaux et banquettes. »

« Nous commençons à avoir une belle image et notoriété de Rasteau. L’appellation est demandée de manière spontanée de la part de nos clients au même titre que les Crus de Gigondas, Châteauneuf du Pape, etc. Le Terroir à un bon potentiel. »

AOC RASTEAU : En quoi ce type de viticulture reflète-t-il les valeurs de Rasteau ?

Empreint d’humanité et de générosité Daniel nous indique que la biodynamie est « avant tout question de rencontres, de collectif et partage où la valeur humaine y est très importante. Paradoxalement le métier de vigneron est plutôt indépendant mais nous compensons avec des échanges, des conseils de pratiques, etc. D’ailleurs, il serait idéal que nous le fassions plus. ».

AOC RASTEAU : Pensez-vous que ce mode d’agriculture pourrait se développer dans les années à venir ?

Daniel Coulon : « Oui je l’espère ! Il faut être prêt, pouvoir y passer du temps, en avoir la volonté. Il faut avant tout aimer cela, être ‘solide’ en soi et pendre le temps qu’il faut pour gagner en sérénité. Rien ne sert d’aller trop vite s’il est question d’abandonner et faire machine arrière ensuite. Il faut avoir un certain goût du risque… »

AOC RASTEAU : Que répondez-vous à ceux qui vous demandent si le « cours aux agriculteurs » de Steiner ou le calendrier des semis sont vos livres de chevet ?

Daniel Coulon : «  OUI ! »… Avant de nous citer spontanément quelques autres références : « Viticulture biodynamique,  le dernier ouvrage de Jean-Michel Florin complet et accessible, Le jour où il n’y aura plus de vin de  Laure Gasparotto et Lilian Berillon, pépiniériste. »
Nous apprendrons également qu’au-delà d’être un vigneron passionné, leur père Paul Coulon s’adonne lui aussi à l’écriture ; Comment faire du bon vin ou encore  L’âme du musée vigneron.

AOC RASTEAU : Que pouvons-nous vous souhaiter pour les années à venir ?

Daniel Coulon : « Qu’il y ait une prise de conscience collective qui ne conduise pas à un dérèglement climatique trop dramatique. Des efforts sont faits, mais il serait bénéfique que cela aille plus vite… Continuer dans l’éducation de chacun, que ce soit du respect de l’environnement à celui de l’humain. »

AOC RASTEAU : Comment se déroule la transmission entre Père et Fils ?

Daniel Coulon : « J’ai 3 garçons ; Victor 29 ans, Antonin 25 ans et Justin 8 ans.
Victor depuis tout petit s’est toujours intéressé aux vignes, à la cave et au métier de vigneron. Antonin lui a toujours dit qu’il voulait découvrir d’autres choses. A l’heure actuelle sa passion pour le vin est surprenante, il est revenu plus vite que prévu. Je ne leur ai jamais dit qu’il fallait qu’ils s’investissent au domaine, mais je ne leur ai pas dit qu’il ne fallait pas le faire non plus. Quant à Justin, il est encore un peu jeune ! ». Frédéric, le frère de Daniel Coulon, a quant à lui deux garçons : Jules 25 ans et le plus jeune Léon, 24 ans, également pris de passion pour le vin.


Transmission Père-Fils, notre entretien avec Victor Coulon


AOC RASTEAU : Parlez-nous d’un souvenir d’enfance marquant ?

Victor Coulon : « Je me souviens des odeurs de cave pendant les vendanges, les box de raisins, tout était ouvert, je rentrais de l’école et goûtais les jus. Je me suis habitué assez tôt à sentir et goûter les choses, je reconnaissais souvent les arômes. »

AOC RASTEAU : Quel déclic vous a fait vous intéresser à la viticulture ?

Victor Coulon : « J’ai toujours voulu faire ça, même à l’adolescence. Je voulais être vigneron. Mon choix d’études s’est fait dans ce sens : une école d’ingénieur en agronomie avec une spécialité « vignes et vins », à Toulouse. »

AOC RASTEAU : Quel est votre rapport à la biodynamie, en quoi cela vous semble-t-il important ? 

Victor Coulon : « Après mon passage du baccalauréat, mon père a amené le bio au domaine et nous nous sommes fait certifier. Certification à la suite de laquelle j’ai souhaité soutenir le passage en biodynamie, qu’il travaillait déjà.  J’étais encore un peu « pudique » avec cette approche, fait une première tentative de lecture du « Cours aux agriculteurs » de Steiner , on m’avait prévenu qu’il fallait s’accrocher… et en effet ça n’était pas encore le bon moment ! Puis j’ai rencontré plusieurs consultants en biodynamie, j’ai commencé à me documenter à ce sujet et encore plus m’y intéresser. »          

« Mon bagage scientifique n’est pas antinomique avec la biodynamie» 

Victor Coulon : « Lors de mon cursus à Toulouse, on nous parlait souvent de « bio » et de développement durable mais pas du tout de biodynamie. En cours, j’étais un peu l’écolo du groupe, alors j’ai amené un petit peu l’idée dans le club de dégustateurs que j’animais. Probablement un peu mon côté provocateur, je dérangeais peut-être mais je voulais oser. Puis j’ai fait mon stage de fin d’études au domaine Cazes à Rivesaltes, qui conduisait une viticulture en biodynamie. Cette pratique est à la portée de tout le monde, il suffit de la comprendre et bien évidemment d’y croire. J’ai vu l’évolution du style des vins. Cela amène quelque chose de plus d’être au plus proche de la nature. »

AOC RASTEAU : Vos projets d’avenir ?         

Victor Coulon : « Pour le moment nous achetons des raisins certifiés en biodynamie  à d’autres vignerons, que nous vinifions en Vins de France sous le nom de  ‘Famille COULON’. »

AOC RASTEAU : Quelle est votre approche de la transmission Père-Fils ?

Victor Coulon : « La transmission c’est avoir l’humilité de dire ‘j’arrive, je ne révolutionne pas tout, j’amène des choses petit à petit‘, amener les idées novatrices pour retravailler une tradition et non pour la défaire ! Nous faisons beaucoup de réunions ensemble durant lesquelles nous discutons de tout, il y a une très bonne communication, une belle synergie et surtout beaucoup de respect entre nous. Cette façon de travailler marche très bien, elle est surtout très motivante. D’autant plus car j’ai la chance d’être sur la même longueur d’ondes que mon père. Evidemment je souhaite apporter ma pierre à l’édifice, avec l’envie de tester beaucoup de choses sans pour autant les commercialiser ; sélections parcellaires, assemblages, expérimentation sur les contenants, essais de vins sans souffre etc. C’est une grande liberté de pouvoir faire cela, une sorte de curiosité intellectuelle. Nous verrons ce que cela donnera sur le long terme… ».

Amoureux lui aussi de littérature, Victor nous citera un peu plus tard Paul Valéry « La véritable tradition n’est pas de refaire ce que les autres ont fait mais de trouver l’esprit qui a fait ces grandes choses et qui en ferait de toutes autres en d’autres temps. ».

AOC RASTEAU : Que pouvons-nous vous souhaiter pour les années à venir ?   

Victor Coulon : « Affirmer l’identité et le style du domaine, continuer à explorer les voies que l’on explore et tout ce qui sera lié à ses explorations… »

« Il faut que les appellations restent dynamiques ! Elles sont primordiales en France et à l’étranger. C’est important de continuer à écouter le vigneron. Ce qui fait la force d’une appellation c’est son lien avec le terroir et c’est justement l’homme qui est le plus lié à son terroir. »

« Il y aussi la question du dérèglement climatique…Est-ce qu’un Rasteau d’aujourd’hui sera le même que dans 20-30 ans … ? »

Nous ponctuons ces échanges stimulants par une dégustation de quelques vins du domaine, dont le petit dernier (millésime 2017) s’est révélé être aussi pur, profond et sincère que le discours de ceux l’ayant façonné.

Merci à la famille Coulon de s’être livrée à l’appellation Rasteau !

+ d’infos 

Domaine de Beaurenard
10 avenue Pierre de Luxembourg
84231 CHATEAUNEUF-DU-PAPE

Site internet 
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Bon à savoir

Crée par Paul Coulon en 1982, le Musée du Vigneron de Rasteau rouvrira ces portes pour la belle saison à compter du 31 mars 2018.
Une collection de plus de 2500 outils répartie en 7 salles, dont une vinothèque.

Musée du Vigneron 
Route de Vaison-la-Romaine 84110 Rasteau

Pour ceux qui auront l’occasion de se rendre au MUCEM (Musée de la Civilisation de l’Europe et de la Méditerranée) prochainement, quelques-uns de ces 2500 outils s’y trouvent en exposition permanente (pour une durée de 3 ans).


Par ALEXIA GOZLAN

Crédits Photos : De gauche à droite ; Daniel, Paul, Frédéric et Victor Coulon. © Domaine de Beaurenard